Écrit en 1948, dans une période terrible, puisque l'Europe était sortie coupée en deux par la Seconde Guerre Mondiale, et que les deux grands systèmes politiques totalitaires étaient encore frais dans les mémoires (celui de l'URSS était même encore bien vivant), on peut comprendre que l'époque ait vu paraître un tel roman en forme d'avertissement aux générations futures.

Malheureusement, même en tenant compte de cette grande originalité, et du contexte de 1948, je dois dire, à mon grand regret, que «1984» m'a déplu.

Tout d'abord, le roman est long. le sentiment prédominant pour moi, quand je l'ai lu, était l'ennui. Je savais que la société totalitaire qui s'y déploie n'avait rien du tout d'amusant ou de divertissant, mais j'espérais pouvoir lire ce roman sans trop me faire violence, car après tout, c'est un classique. Or, il m'aura fallu plus de 2 mois pour atteindre la 446-ème et dernière page.

S'il faut chercher une explication, je pense que le roman est de qualité inégale. Certains chapitres sont bons, car ils sont équilibrés en terme d'avancement de l'intrigue, de présence de dialogues et de descriptions. Mais d'autres sont vraiment horribles, en particulier quand Orwell cherche à rendre crédible le monde qu'il a inventé. Dans ceux-là, l'impression dominante pour moi était qu'Orwell se regardait écrire, et nous abreuvait de détails, jusqu'à plus soif. En particulier, je suis resté bloqué dans le chapitre 9 de la deuxième partie, celui dans lequel le héros lit un livre : ce chapitre ne fait que 56 pages, mais il s'agit d'une sorte d'essai politique inséré dans le roman. Imaginez devoir lire des dizaines de pages d'un Marx ou d'un Lénine au milieu d'un roman, c'est l'enfer! Certes, ce chapitre rend crédible ce monde dystopique, mais avec beaucoup de points que le héros de l'histoire avait déjà compris par lui-même, et nous avec. C'est à se demander si Orwell, qui était politisé à gauche, n'a pas écrit ce chapitre en premier (en s'inspirant de Marx qu'il a certainement lu), et s'il n'a pas construit le reste du roman autour.

Par ailleurs, quelques scènes m'ont donné à penser qu'Orwell était bien un Anglais, avec un côté intrinsèquement conservateur, pour ne pas dire ridicule. Quand le héros offre un verre à un vieux dans un bar, et que ce dernier s'agace du fait qu'on ne lui donne pas une pinte anglaise, comme dans sa jeunesse, mais un verre de 0,5 litres, est-ce que vous comprenez (comme moi) qu'Orwell veut nous dire qu'il y a une certaine barbarie dans le système métrique? Désolé George, mais je crois que c'est le système impérial d'unités qui est barbare, chacun son point de vue!

De même, quand l'auteur nous dit que les horloges de «1984» donnent l'heure sur 24 heures, et non plus 12, faut-il y voir une forme de barbarie rationnaliste? Cela me fait doucement rigoler que l'on puisse utiliser de tels exemples pour insinuer que les gens ultra-rationnels, du Parti Intérieur, sont des monstres. Il y aurait tant de contre-exemples!

Une autre déception concerne le célèbre «novlangue», dont la notoriété a largement dépassé le cadre de ce roman, puisque le terme est dans le dictionnaire Larousse avec cette définition : «Langage convenu et rigide destiné à dénaturer la réalité». En tant qu'espérantophone, je peux confirmer qu'Orwell s'est appuyé sur certaines règles de l'espéranto pour proposer un semblant de langue nouvelle qui puisse avoir l'air crédible. Malheureusement, la démonstration tourne court, car les règles de la novlangue qui s'inspirent des règles de l'espéranto ne sembleront mauvaises qu'aux lecteurs qui ont déjà été écoeurés par le verre de 0,5 litres mentionné plus haut. En quoi est-ce gênant que tous les adverbes finissent par «-ment», sincèrement et honnêtement? Je suis d'accord avec Orwell que la langue est un outil qui peut être mis au service d'une idéologie, comme l'a démontré Klemperer dans «LTI la langue du troisième Reich», mais était-il nécessaire d'y ajouter des éléments de la grammaire de l'espéranto, semant ainsi le trouble dans l'esprit du lecteur sur ce qu'est cette belle langue construite? Un conseil : apprenez l'espéranto et vous oublierez, j'en suis sûr, tous les préjugés qu'avait Orwell à son sujet.

Pour conclure, j'admets que ce roman est très ambitieux et qu'Orwell a poussé très loin, et avec un certain talent, la description de ce que pourrait être une société de surveillance généralisée. Mais du côté de l'histoire elle-même, c'est décevant, et je n'adhère pas, mais alors pas du tout, à la vision extrêmement pessimiste de l'être humain qui s'étale dans ce livre comme une vérité première (qu'elle n'est pas).